dimanche 11 janvier 2015

Lundi 11 janvier 1915

Dans cette nuit, vers une heure du matin, je suis réveillé par un bruit de voix. Ce sont un lieutenant et deux tirailleurs qui arrivent d'Écurie. Les malheureux ont été enlisés et ont de la boue jusque sur la tête. Ils sont arrivés sans souliers et sans pantalons, qu'il a fallu qu'ils laissent dans la boue. J'en conclus par là, qu'il n'y a pas que dans notre secteur qu'il y a de la boue. D'après le journal, du côté de Souchez, on a dû abandonner des tranchées, car il était impossible d'y aller. Il faut croire qu'il y a quelque chose.

Dans la nuit, il a plu de nouveau, mais ce matin le temps [est] de nouveau bien clair, et c'est ainsi tous les jours. De cette manière l'état des chemins et tranchées ne s'améliore jamais.
À une heure de l'après-midi nous avons accompagné, à sa dernière demeure, notre infortuné camarade Mounier, tué par un obus samedi dernier. On a mis ses restes dans un cercueil et inhumé derrière le cimetière, car celui-ci est déjà plein, et on en crée un autre à côté. Nous avons fait venir un prêtre de Sainte-Catherine, c'est le même qui vient souvent dire la messe. Tous les gradés et sapeurs présents au cantonnement ont assisté aux obsèques, qui ont revêtu un caractère grandiose dans leur simplicité. C'est un triste moment qui amène d'amères réflexions.

Nous avons entre sous-officiers innové une coutume, c'est d'acheter un souvenir que l'on adresse à la famille du disparu et où sont gravés avec le nom du défunt « souvenir de ses camarades » et le numéro de la compagnie. C'est une plaquette allégorique or et vermeil d'une valeur de 60 à 70 francs. Souhaitons en acheter le moins possible. Mais notre catégorie paie son tribu comme les autres.
Les batteries, qui sont en avant de Saint-Aubin, ont été encore arrosées de marmites mais cela ne cause aucun dégât. Cela touche rarement les pièces, et les artilleurs se mettent dans leurs abris, aussi est-ce rare les pertes chez eux.

J'ai lu aujourd'hui les discours des Présidents de la Chambre et du Sénat. Ils sont affichés à la mairie, et le texte est plein de patriotisme ardent, et on lit, entre les lignes, le concours prochain d'autres nations qui viendront aider à défendre le droit et la liberté.

La situation aux tranchées est toujours à peu près la même ; les Allemands ne tirent pas et les camarades disent qu'ils seraient obligés d'abandonner la première ligne si c'était comme avant, car ils sortent à mi-corps de la tranchée. Cela me paraît bizarre que, pouvant tirer des Français à découvert, ils ne le fassent point ! Quel jeu jouent-ils, en ont-ils assez, ou bien préparent-ils un grand coup en montrant leur peu d'activité ? J'ai bien peur que nous soyons leurs dupes. Car je l'ai déjà dit plus haut c'est quand ils font des avances qu'il faut le plus se méfier.

Je me suis fait vacciner ce matin. Ce n'est pas le diable, mais la douleur se fait sentir pendant un jour ou deux et j'ai toute l'épaule endolorie. Après cela on a deux jours de repos. L'on doit se faire vacciner trois fois à huit jours d'intervalle et en augmentant la dose de sérum.

Encore un sapeur tué aujourd'hui en revenant du travail. C'est une balle qui l'a attrapé en pleine tête.

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