Dans cette nuit, vers
une heure du matin, je suis réveillé par un bruit de voix. Ce sont
un lieutenant et deux tirailleurs qui arrivent d'Écurie. Les
malheureux ont été enlisés et ont de la boue jusque sur la tête.
Ils sont arrivés sans souliers et sans pantalons, qu'il a fallu
qu'ils laissent dans la boue. J'en conclus par là, qu'il n'y a pas
que dans notre secteur qu'il y a de la boue. D'après le journal, du
côté de Souchez, on a dû abandonner des tranchées, car il était
impossible d'y aller. Il faut croire qu'il y a quelque chose.
Dans la nuit, il a plu
de nouveau, mais ce matin le temps [est] de nouveau bien clair, et
c'est ainsi tous les jours. De cette manière l'état des chemins et
tranchées ne s'améliore jamais.
À une heure de
l'après-midi nous avons accompagné, à sa dernière demeure, notre
infortuné camarade Mounier, tué par un obus samedi dernier. On a
mis ses restes dans un cercueil et inhumé derrière le cimetière,
car celui-ci est déjà plein, et on en crée un autre à côté.
Nous avons fait venir un prêtre de Sainte-Catherine, c'est le même
qui vient souvent dire la messe. Tous les gradés et sapeurs présents
au cantonnement ont assisté aux obsèques, qui ont revêtu un
caractère grandiose dans leur simplicité. C'est un triste moment
qui amène d'amères réflexions.
Nous avons entre
sous-officiers innové une coutume, c'est d'acheter un souvenir que
l'on adresse à la famille du disparu et où sont gravés avec le nom
du défunt « souvenir de ses camarades » et le numéro de
la compagnie. C'est une plaquette allégorique or et vermeil d'une
valeur de 60 à 70 francs. Souhaitons en acheter le moins possible.
Mais notre catégorie paie son tribu comme les autres.
Les batteries, qui sont
en avant de Saint-Aubin, ont été encore arrosées de marmites mais
cela ne cause aucun dégât. Cela touche rarement les pièces, et les
artilleurs se mettent dans leurs abris, aussi est-ce rare les pertes
chez eux.
J'ai lu aujourd'hui les
discours des Présidents de la Chambre et du Sénat. Ils sont
affichés à la mairie, et le texte est plein de patriotisme ardent,
et on lit, entre les lignes, le concours prochain d'autres nations
qui viendront aider à défendre le droit et la liberté.
La situation aux
tranchées est toujours à peu près la même ; les Allemands ne
tirent pas et les camarades disent qu'ils seraient obligés
d'abandonner la première ligne si c'était comme avant, car ils
sortent à mi-corps de la tranchée. Cela me paraît bizarre que,
pouvant tirer des Français à découvert, ils ne le fassent point !
Quel jeu jouent-ils, en ont-ils assez, ou bien préparent-ils un
grand coup en montrant leur peu d'activité ? J'ai bien peur que
nous soyons leurs dupes. Car je l'ai déjà dit plus haut c'est quand
ils font des avances qu'il faut le plus se méfier.
Je me suis fait
vacciner ce matin. Ce n'est pas le diable, mais la douleur se fait
sentir pendant un jour ou deux et j'ai toute l'épaule endolorie.
Après cela on a deux jours de repos. L'on doit se faire vacciner
trois fois à huit jours d'intervalle et en augmentant la dose de
sérum.
Encore un sapeur tué
aujourd'hui en revenant du travail. C'est une balle qui l'a attrapé
en pleine tête.
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