C'est ma dernière
journée de repos, j'irai au travail demain à midi. Il n'y a pas à
dire, vivre en arrière il y a la nuit et le jour comme différence
avec les tranchées. Ici à Saint-Aubin on respire, et on est en
pleine tranquillité, malgré les quelques obus qui tombent parfois,
car on ne craint que cela.
On est donc dispensé
des balles, des bombes et explosions de mines, qui ne sont pas
épargnées en première ligne. Continuer la campagne, comme ceux qui
restent toujours à l'arrière, est en somme, sinon très agréable,
peu dangereux, car on arrive à coucher sur un lit, et on est
toujours propre et les pieds au sec, bonne table, la solde assez
forte, que peut-on désirer de plus ? Il y en a qui voudraient
que cela dure longtemps, car ils gagnent de l'argent plus que dans
leur vie civile et encore moins de travail. Mais ce n'est pas le cas
de tout le monde.
Comme nourriture, pour
le moment, on est très bien. Le menu est assez varié, vin, un quart
tous les jours, la viande toujours tendre, et nous avons plus souvent
des pommes de terre. Du riz, on en sert moins à présent, on
commençait à ne plus pouvoir le sentir. Hier, nous avons mangé des
haricots verts, ils étaient délicieux aussi il n'en est pas resté.
Comme on doit le penser, c'est la première fois que cela arrive,
mais il faut espérer que cela ne sera pas la dernière. Du miel
aussi, voilà qui m'a épaté, et nous en avons souvent, et il est
très bon. C'est du miel blanc. Je ne sais pas d'où il vient mais on
le préfère au gruyère ou aux sardines qu'on nous fourrait tous les
jours dans les débuts.
Il y a aussi tous les
jours de l'eau de vie, et il est défendu aux cafetiers d'en vendre.
Pour ce que l'on peut
trouver à acheter dans la localité, c'est très peu, et on le paie
naturellement le double de sa valeur. Le vin 2 francs le litre. Il
n'y a que la bière qui ne soit pas chère, 2 sous la chope, mais il
est vrai que ça ne vaut pas grand chose, et c'est à peu près tout
ce que l'on trouve.
Pour ce qui est de la
situation, de notre côté c'est toujours la même chose depuis trois
mois. Car on occupe toujours les mêmes positions, si l'on n'a [pas]
avancé, cela ne prouve pas que l'on ne se fait pas de mal, il y a
des pertes tous les jours, mais moins élevées qu'au début de la
guerre. En tout cas elle est plus terrible qu'au début, car on se
bat de plus près, et c'est plutôt un carnage qu'autre chose car les
blessures provoquées par les bombes sont terribles, et c'est ce qui
est devenu l'arme de circonstance pour la tranchée de tuer à coups
de paquets de mélinite ou de dynamite. Il y en avait peut-être bien
peu qui avaient prévu cela. C'est la nouvelle arme de la
civilisation, qu'est-ce qu'on trouvera encore comme engin de
destruction d'ici à la fin de la guerre ? Cela ne pourra être
que de plus en plus terrible.
Ceux qui auront la
chance de pouvoir sortir sains et saufs de cela pourront faire brûler
un beau cierge à leur saint, mais ils ne seront guère épais ceux
qui n'auront pas eu une égratignure.
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